Arcadie, d’Emmanuelle Bayamack-Tam, publié en 2018, est un récit littéraire transgressif et érudit, à la fois roman d’apprentissage et traité d’insoumission, mélangeant les registres de langue et incorporant les inspirations artistiques de l’autrice dans une intertextualité savamment orchestrée. Les corps hybrides, marginaux, vieillissants sont au cœur de cette histoire, et d’abord celui de Farah, la narratrice.
Farah est une adolescente de 14 ans qui vit avec ses parents à Liberty House, une communauté libertaire et écologique installée en zone blanche, protégée des ondes électromagnétiques. Là vivent en quasi-autarcie un ensemble d’« inadapté·es » de tous les genres et de tous les âges fuyant les nouvelles technologies. Un refuge utopique rappelant le mythique royaume du dieu grecque Pan : un domaine montagneux proche de la frontière italienne, pastoral, paisible, qui guérit les souffrances. À sa tête Arcady, justement, guide spirituel charismatique qui prêche l’amour libre et universel.
C’est dans ce cadre que Farah a grandi. Avec l’adolescence, la jeune fille au « physique ingrat » voit son corps bouleversé par la puberté et évoluer vers une hybridation de genre qui la mène à des questionnements identitaires. Au sein de sa communauté, elle enquête : c’est quoi une femme ? De réponses insatisfaisantes en clichés, Farah apprend à apprivoiser son corps et son désir selon ses propres termes. Mais ce n’est pas que le cadre cishétéronormatif de la société qu’elle questionne, Farah porte également un regard critique et parfois acerbe sur sa communauté dont la devise « Amor vincit omnia » va être mise à mal par l’arrivée d’Angossom, un jeune homme migrant.
Avec ce livre impertinent, drôle, humaniste, Emmanuelle Bayamack-Tam questionne les normes et les frontières, physiques comme culturelles, de nos sociétés contemporaines. Et si, face au conformisme et à la férocité de la horde, l’espoir venait de la marge ?
Arcadie, publié aux éditions P.O.L., a reçu le prix du Livre Inter 2019.
Ce texte a été rédigé par des étudiant·es du master Études sur le genre
Emmanuelle Bayamack-Tam écrit des romans déstabilisants qui traitent des corps, du désir, du vieillissement, du métissage, de la famille … et dont certains personnages se transfigurent et voyagent de romans en romans. Elle écrit également sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri. Depuis le début des années 1990, elle a publié plus d’une quinzaine d’œuvres aux éditions P.O.L. Son dernier livre La Treizième Heure, paru en 2022, a été lauréat du prix Médicis.
Agrégée de lettres modernes, Emmanuelle Bayamack-Tam est membre fondateur de l’association Autres et Pareils qui promeut des projets artistiques pluridisciplinaires. Elle codirige également les éditions Contre-Pied depuis 1994 au côté de Jean-Marie Gleize et Olivier Domerg.