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Langue, langage, traduction

La langue est un lieu de luttes, un enjeu de pouvoir, comme l’illustre l’Académie française. Depuis la naturalisation de la domination masculine dans la langue, c’est-à-dire l’effacement de l’histoire de la masculinisation de la langue au nom d’une prétendue supériorité de l’homme sur la femme, les académiciens s’opposent à la démasculinisation du français en prétextant désormais une distinction entre genre grammatical et genre social, alors qu’ils ont pourtant été liés pour motiver le « patriarcat linguistique ».

Historienne de la littérature, Éliane Viennot a en effet historicisé cette masculinisation de la langue, exposant le lien entre genre grammatical et dénomination de la personne humaine, à une période où des femmes accédaient à des métiers et fonctions prestigieuses. En linguistique cognitiviste, Pascal Gygax et son équipe ont montré qu’à la lecture du masculin le cerveau comprend « homme ». Ainsi, pour restaurer les femmes dans la langue, les féministes ont travaillé sur la reféminisation des titres et noms de métier, particulièrement les plus prestigieux. Elles ont également proposé de réactiver l’accord de proximité, de majorité, et d’utiliser les doublets complets.

Les concepts de « langage inclusif » et d’« écriture inclusive » apparaissent au tournant des années 1980, sous la plume de théologiennes protestantes nord-américaines désireuses d’inclure la diversité de l’humanité dans les traductions bibliques et les sermons. En France, la publication en 2016, par l’agence de communication Mots-clés, d’un guide d’écriture inclusive, met le terme sous les projecteurs d’une presse désireuse de s’opposer à « l’idéologie du gender ». L’utilisation du point médian cristallise les critiques au nom d’un intérêt pour les droits des dyslexiques et au prétexte que l’écriture inclusive serait illisible.

Là encore, Gygax et son équipe réalisent des études et, comme d’autres, montrent que le point médian, signe diacritique dans le catalan – ce qui ne pose pas de problème particulier –, est tout à fait lisible, bien que leur enquête se porte sur un public a priori non-dyslexique. Justine Bulteau, quant à elle, étudie la lisibilité de plusieurs formes de français inclusif, dont le point médian, le genre neutre et les doubles flexions figées. Son étude montre alors deux choses : que le français standard n’inclut pas les personnes dyslexiques, et que les formes du français inclusif manquent de présence dans la langue. En effet, plus nombreuses, elles seraient plus connues et reconnues, et plus facilement lisibles.

Les personnes non-binaires s’accommodent du point médian, d’autres utilisent le féminin ou le masculin, parfois alternent entre les deux, ou recourent au neutre. Alpheratz, doctoranx en linguistique, développe un système de genre neutre appelé le « système al », de la variante régionale en moyen français du pronom neutre el. Ce système s’appuie sur les régularités du français standard, ce qui existe déjà dans la langue ainsi que dans l’histoire de celle-ci, et fait du neuf avec du vieux afin de répondre en enjeux sociaux contemporains.

Enfin, Sur les bouts de la langue : Traduire en féministe/s, titre d’un livre de Noémie Grunenwald et d’un article paru dans Glad! Revue sur le langage, le genre, les sexualités – incontournable dans le champ français sinon francophone –, questionne la place des femmes et des genres divers dans la production et transmission du savoir. Ainsi, traduire n’est pas une transcription prétendument objective, mais un ensemble de choix linguistiques, terminologiques et encyclopédiques réalisés et parfois revendiqués par un traducteurice situé·e, dont le nom tient sa place aux côtés de l’auteurice, de sorte que « traduire, c’est produire », selon Cornelia Möser.

Le dossier de la revue Glad! est issu du projet FELiCiTE (Féminismes En Ligne : Circulations, Traductions, Éditions). Inspiré de la traductologie féministe telle qu’incarnée par Lori Chamberlain, il aborde « l’inscription du genre grammatical, la désignation sémantique des femmes ou du féminisme en langues arabe, chinoise, anglaise, la traduction et la circulation des idées féministes dans les mondes arabes et chinois, la place sociale des traductrices et éditrices de SHS dans le milieu académique ou encore la place de la traduction dans le champ postcolonial ». Dans cette perspective, traduire nécessite de contextualiser ou d’adapter la terminologie au contexte d’arrivée.

Ce texte a été rédigé par des étudiant·es du master Études sur le genre

Références