Toutes excentricités comprises est un spectacle drag incendiaire et décalé de la compagnie Le Feu aux Poudres, créé pour faire revivre l’essence provocatrice et militante du drag dans la région nantaise. Joué depuis octobre 2024, ce huis clos théâtral s’inspire de l’esthétique camp tout en reprenant les codes du drag show, tels que le lipsync, la satire sociale et l’excentricité poussée à l’absurde. Le « lipsync » désigne la performance de synchronisation labiale réalisée en mettant l’exergue sur la danse, les expressions faciales et le jeu théâtral.
La pièce met en scène Sainte et Martyre, deux drag queens dans le club fictif et déserté d’Acapulco Sunlight, dont les mésaventures commencent avec un enlèvement et escaladent jusqu’à atteindre une révolte nationale.
Ce choix de références religieuses – la « sainte » et la « martyre » devenant figures iconoclastes – renforce le décalage entre des idéaux divins et l’exubérance du drag, décalage également présent dans l’opposition entre le drag qui est souvent relégué à une forme de divertissement et la valence artistique et professionnel du théâtre. En mêlant l’absurde au sacré, le spectacle dénonce les normes sociétales et détourne les symboles sacrés pour défier la morale conservatrice, alliant ainsi le sacré au profane en vénérant par exemple la figure de Dalida comme une statue grecque. La scène, froide et vide, se transforme en un lieu de rituel moderne, où les protagonistes s’engagent dans une croisade contre l’ordre établi, parodiant les valeurs « sanctifiées » de la société hétéropatriarcale pour devenir à leur tour les figures sacrées de cette révolte queer.
Les inspirations de ce spectacle sont nombreuses et transversales. On passe de l’univers de Lady Gaga, chaque scène empruntant le titre d’une de ses chansons (e.g. The Edge of Glory ou Téléphone) à la figure iconique de Divine, célèbre drag queen des années 1970 qui a popularisé avec John Waters l’esthétique camp dans l’art queer. Le style camp, mêlant l’excès et le grotesque, s’affirme ici par des costumes éclatants et un jeu dramatique extrême, soulignant le côté volontairement artificiel et satirique du drag. En amplifiant les stéréotypes de genre, Sainte et Martyre explorent la frontière entre séduction et repoussement, questionnant le·a spectateur·rice sur son propre rapport au genre, à l’authenticité et aux normes sociétales. Le processus créatif a également été fortement influencé par les travaux de la photographe Nan Goldin, connue pour ses expositions où la brutalité de relations abusives était contrastée avec poésie et délicatesse.
Ce spectacle repousse ainsi la limite entre art et militantisme : il utilise les éléments iconiques du drag, tels que le lipsync et la gestuelle amplifiée, pour interpeller. En confrontant l’audience à une vision du drag à la fois « kitsch, punk et genderfuck » (l’expression « genderfuck » désigne un rejet des normes de genre notamment liées aux attentes binaires sur les plans vestimentaire et cosmétique), Toutes excentricités comprises brise le consensus et pousse le public à réfléchir sur l’influence du genre et de la religion dans nos vies, tout en offrant un divertissement intense et irrévérencieux.
Ce texte a été rédigé par des étudiant·es du master Études sur le genre