Mise en scène : Maxime Kruvers.
Interprétation : Yuri Itabashi.
Durée : 1 h 20.
Dans la tradition japonaise du théâtre nō, Okina est une courte pièce dansée à caractère sacré, qui peut être réalisée en préambule d’une représentation pour invoquer la paix et la prospérité, notamment lors d’occasions spéciales comme le Nouvel An. Son apparition est antérieure à celle du nō, constitué au XIIIe siècle, puisque des textes en font état dès le Xe siècle. Elle trouve son origine dans les rites bouddhiques et shintoïstes et, à ce titre, sa performance est interdite aux femmes. Le terme okina signifie d’ailleurs « vieil homme, ancien, vénérable ».
Dans le spectacle Okina, le metteur en scène mosellan Maxime Kurvers et l’actrice japonaise Yuri Itabashi se confrontent à cette interdiction pour la contourner et la dépasser grâce à l’imagination. Cette création s’inscrit dans le travail d’anthropologie théâtrale mené par Maxime Kurvers, qui consiste à étudier le comportement des humains en situation de représentation théâtrale au-delà des codes propres à une culture donnée. Fondée par le metteur en scène et dramaturge italien Eugenio Barba à la fin des années 1970, cette discipline est à la recherche du langage physique universel qui sous-tendrait la « présence », la « vie scénique » des comédien·nes.
Par son caractère ancestral, le nō est un terrain d’enquête particulièrement propice, et l’okina plus encore puisqu’elle s’affranchit de toute intrigue et relève à la fois de l’art et du sacré, de la performance et du rite. Traditionnellement réalisée par trois danseurs qui incarnent des divinités masculines (Okina, Senzai et Sanbasō), l’okina commence avant la performance elle-même : les artistes doivent se purifier plusieurs jours avant la représentation.
Le théâtre nō dans son ensemble, au même titre que le kabuki (théâtre épique) et le bunraku (théâtre de marionnettes), est considéré comme une discipline masculine qui se transmet de père en fils. Les femmes en ont été officiellement exclues dans les années 1630, au début de la période Edo, et n’ont pu réintégrer le milieu à titre professionnel qu’en 1948. Aujourd’hui, elles représentent 15% des artistes inscrits à la Nohgaku Performers’ Association.
Pourtant, en marge de l’histoire officielle, elles n’ont jamais cessé de pratiquer cet art. Si une partie du public japonais reste attaché à la tradition d’un nō masculin, les femmes commencent à se faire une place. En mars 2024, le Théâtre national du nō de Tokyo a accueilli une production presque intégralement féminine de Dojoji, pièce classique du répertoire nō.
Okina s’inscrit dans cette dynamique de réappropriation de la tradition dramatique japonaise et ose s’aventurer dans le domaine du sacré. Seule en scène, Yuri Itabashi interroge un interdit ancestral et le fait dialoguer avec la réalité contemporaine, marquée par des inégalités de genre qui dépassent largement le cadre de l’art dramatique. En 2024, le Japon figurait en effet au 118e rang sur 146 en matière d’égalité des sexes.
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Ce texte a été rédigé par des étudiant·es du master Études sur le genre
Références
- Gabrovska, G. (2015). « Onna Mono: The ‘Female Presence’ on the Stage of the All-Male Traditional Japanese Theatre », Asian Theatre Journal, vol. 32, n° 2, 387-415.