Carl Wittman, né en 1943 dans le New Jersey, est une figure importante de l’histoire des luttes LGBTQIA+ aux États-Unis. Fils de parents communistes, il a grandi dans un environnement fortement politisé qui a influencé ses futurs engagements militants. Dans sa jeunesse, Wittman s’est d’abord impliqué dans les milieux de la New Left (Nouvelle Gauche), un courant politique qui prônait des réformes sociales progressistes.
Durant cette première période d’engagement dans les années 1960, Wittman est un membre actif de la Students for a Democratic Society (SDS), une organisation militante et étudiante qui incarne l’esprit de la Nouvelle Gauche. Il partage avec ses camarades la lutte contre la guerre du Vietnam, la défense des droits civiques et un désir de réformer en profondeur les structures politiques et sociales des États-Unis. Cependant, au fur et à mesure de son engagement, Wittman commence à ressentir un décalage croissant avec les positions dominantes au sein de la SDS. Il critique vivement l’exclusion des voix féminines et LGBTQIA+, ainsi que l’homophobie et le sexisme omniprésents chez certains leaders de la Nouvelle Gauche, y compris Tom Hayden, un des fondateurs de la SDS avec lequel il avait publié en 1963 un manifeste intitulé An Interracial Movement of the Poor?. Ces tensions aboutissent à son départ de l’organisation en 1966, suivi peu après par son déménagement à San Francisco.
Même si l’homosexualité y est encore largement marginalisée, San Francisco est une ville devenue au fil des années un épicentre de la culture et de l’activisme homosexuel. Le choix de Wittman de s’y installer témoigne ainsi de son désir de s’investir dans les luttes pour les droits LGBTQIA+. C’est dans ce contexte qu’il commence à faire son coming out homosexuel auprès de ses proches. Il effectue son coming out public en 1968 dans un article intitulé « Waves of resistances », où il établit un lien crucial entre la lutte contre l’engagement militaire et la critique des rôles traditionnels de genre, soulignant que l’homophobie et le militarisme partagent des racines communes au sein d’une société patriarcale.
Moins d’un an après les émeutes de Stonewall de 1969, un tournant majeur dans l’histoire des droits LGBTQIA+ aux États-Unis, il publie Refugees from Amerika: A Gay Manifesto (1970), un ouvrage qu’il préparait alors depuis plusieurs années. Traduit pour la première fois en français par Cy Lecerf Maulpoix (Un manifeste gay, Éditions du commun, 2023), cette publication représente un acte de résistance contre les normes dominantes, mais aussi une manière pour Wittman de se positionner comme un leader intellectuel et militant du mouvement gay. Il y critique le rôle de l’État dans l’oppression des minorités sexuelles et plaide pour une plus grande inclusion des personnes homosexuelles dans les luttes progressistes.
Cet ouvrage théorise le besoin d’une libération globale de l’homosexualité masculine, en l’intégrant dans une perspective révolutionnaire et anticapitaliste. Il inclut la cause lesbienne à son manifeste en précisant toutefois qu’il ne s’exprime pas au nom des lesbiennes, car leur homosexualité interagit avec le sexisme qu’elles subissent, d’une façon que Wittman refuse d’avoir la prétention de comprendre. Son travail contribue à redéfinir les contours du militantisme gay, au-delà de la simple revendication de droits civils, pour inclure une critique profonde de la société patriarcale et capitaliste.
L’influence de Wittman se prolonge au-delà de la décennie 1970, alors que le mouvement pour les droits des homosexuels prend de l’ampleur aux États-Unis et dans le monde. Son engagement continue à résonner dans les luttes contemporaines pour l’égalité des genres et contre les violences homophobes. Carl Wittman, décédé en 1986, reste ainsi une figure incontournable pour comprendre les racines de l’activisme LGBTQIA+ et ses interactions avec les autres luttes sociales.
Ce texte a été rédigé par des étudiant·es du master Études sur le genre